Typographie & Civilisation
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Venise
Le père du caractère romain:
Nicolas Jenson

chapitre deuxième

L
E VERS 1420 A SOMMEVOIRE EN CHAMPAGNE, Nicolas Jenson était graveur et directeur de la Monnaie du roi à Tour, lorsque en 1458, Charles VII « ayant sceu que Messire Guthenberg, chevalier, demourant à Mayence au païs d’Alemaigne, avoit mis en lumiere l’invencion d’imprimer par poinçons et caracteres » manda « aux Generaux de ses Monnoies lui nommer personnes bien entendues a ladicte taille pour envoïer au dict lieu secretement soy informer de la dicte forme et invencion, entendre, concevoir et apprendre l’art d’icelles ». Ces derniers lui ayant indiqué Nicolas Jenson comme parfaitement capable, celui-ci partit pour l’Allemagne afin de « parvenir à l’intelligence du nouvel art et execucion d’icelui audict Royaulme de France » .

A Mayence, Jenson se fit admettre à l’atelier de Fust et Schœffer, prêtant serment sur l’Evangile de ne révéler à personne de ce qu’il y apprendrait. Pendant trois années il s’appliqua à assimiler l’art typographique et ce jusqu’au sac de Mayence, dans la nuit du 28 octobre 1462, par les troupes de l’archevêque Adolphe de Nassau. Délié de son serment, Jenson suivit ses compagnons typographes et quitta Mayence. Il ne rentra toutefois pas en France comme convenu initialement: c’est que Louis XI, le nouveau roi de France, ne partageait pas les vues de son père et ne manifestait aucune sympathie pour l’imprimerie.

Que fit-il entre 1462 et 1470, date à laquelle, on le retrouve à Venise, imprimant la Préparation évangélique? Certains estiment qu’il suivit à Subiaco Sweynheim et Pannartz, assistants comme lui de Schœffer, d’autres soutiennent qu’il partit travailler à Cologne avec Ulrich Zell.

De Preparatio Evangelica
Extrait de la Preparatio Evangelica (1470)

Toujours est-il, que c’est à Venise que Jenson établit sa renommée de maître-imprimeur. Il commença comme assistant de Jean et Wendelin de Spire (et peut être est-il le graveur du caractère romain de ses derniers) et devint maître-imprimeur en 1470. Avec Jean de Cologne, il fonda la première grande société commerciale typographique baptisée « Nicolaus Jenson Sociique ». Cette dernière avait des agents à Milan, Vérone, Crémone et jusqu’à Pérouse. Dans l’histoire de l’imprimerie, cette société est également fameuse pour avoir introduit un sceau typographique, adopté par les imprimeurs par la suite. Beaucoup ont mis leur esprit à la torture pour déméler le sens symbolique: sans résultat! Il s’agit vraisemblablement d’une imitation des marques commerciales en usage alors en Allemagne pour l’expédition de marchandises. La perfection des productions de Jenson ont fait que l’on a longtemps parlé de lui comme « le prince de l’art typographique ».

Considérablement riche, il testa à Venise en 1480, exprimant son souhait d’être inhumé à l’église Sainte-Marie des Grâces et y mourut sans doute la même année après qu’il eut été créé comte palatin par le pape Sixte IV car il avait imprimé beaucoup d’ouvrages de droit canon et d’œuvres ecclesiastiques. Il ne peut prétendre au titre de premier imprimeur vénitien; il semble en effet que la date de 1461 relevée sur le Decor Puellarum soit le fait d’une erreur ou d’une fraude et non la véritable date d’édition de ce livre, qui serait alors de 1471 . En 1479, son fonds fut acquis par André Corregiano d’Asola, beau-père d’Alde Manuce.

L’apport majeur de Jenson à la typographie est son caractère romain, déjà ébauché dans le Lactence (1465) de l’atelier de Subiaco, perfectionné dans l’édition du De Officiis de Cicéron et enfin mis au point en 1470 dans l’Eusèbe et dans Epistolæ ad Brutum de Cicéron. Ce romain à empattements triangulaires épais, marque le passage de la calligraphie dans la composition typographique. Jenson va ainsi libérer la minuscule de ses accolements calligraphiques ne conservant que quelques doubles lettres tel le ‘st’, le ‘ct’, le double ‘ff’ et le ‘fl’. En revanche l’ ‘æ’ apparait pour la première fois alors que le trait d’union prend la forme d’un seul trait légèrement oblique. La tonalité générale du caractère est ainsi régulière, d’un aspect reposant pour l’œil et d’une facilité de lecture qui tranche avec les gothiques qui l’on précédé. Jenson va ainsi unifier la minuscule calligraphique avec la capitale latine, en donnant plus d’ampleur à ladite minuscule et en substituant à la graisse uniforme des traits de la lettre latine le jeu des pleins et des déliés. Ceci entraîna un élargissement de l’approche des lettres, autrefois plus resserrées, isolant de manière décisive la lettre.

Romain de Jenson
Analyse du Romain de Jenson

Ce romain reçut un accueil si enthousiaste qu’il en consacra l’usage et en assura la diffusion mais de toutes les fontes du début de l’imprimerie, où chaque atelier gravait et fondait pour son propre usage, aucune n’approcha de la perfection formelle de celle de Nicolas Jenson. Stanley Morison, le grand historien de la typographie, créateur du Times New Roman, considère le romain de Jenson comme le plus parfait caractère d’imprimerie jamais gravé.


L’imprimerie vénitienne au XVe siècle