«
Ici peut-être est-il nécessaire
de dire un mot de l'établissement.
L'imprimerie, située dans l'endroit
où la rue de Beaulieu débouche
sur la place du Mûrier, s'était
établie dans cette maison vers la
fin du règne de Louis XIV. Aussi
depuis longtemps les lieux avaient-ils été
disposés pour l'exploitation de cette
industrie. Le rez-de-chaussée formait
une immense pièce éclairée
sur la rue par un vieux vitrage, et par
un grand châssis sur une cour intérieure.
On pouvait d'ailleurs arriver au bureau
du maître par une allée.
Mais
en province, les procédés
de la typographie sont toujours l'objet
d'une curiosité si vive, que les
chalands aimaient mieux entrer par une porte
vitrée pratiquée dans la devanture
donnant sur la rue, quoiqu'il fallût
descendre quelques marches, le sol de l'atelier
se trouvant au-dessous du niveau de la chaussée.
Les curieux, ébahis, ne prenaient
jamais garde aux inconvénients du
passage à travers les défilés
de l'atelier. S'ils regardaient les berceaux
formés par les feuilles étendues
sur des cordes attachées au plancher,
ils se heurtaient le long des rangs de casses,
ou se faisaient décoiffer par les
barres de fer qui maintenaient les presses.
S'ils suivaient les agiles mouvements d'un
compositeur grappillant ses lettres dans
les cent cinquante-deux cassetins de sa
casse, lisant sa copie, relisant sa ligne
dans son composteur en y glissant une interligne,
ils donnaient dans une rame de papier trempé
chargée de ses pavés, ou s'attrapaient
la hanche dans l'angle
d'un banc; le tout au grand amusement des
singes et des ours. Jamais personne n'était
arrivé sans accident jusqu'à
deux grandes cages situées au bout
de cette caverne, qui formaient deux misérables
pavillons sur la cour, et où trônaient
d'un côté le prote, de l'autre
le maître imprimeur.
Atelier de composition au XIXème
siècle
Dans
la cour, les murs étaient agréablement
décorés par des treilles qui,
vu la réputation du maître,
avaient une appétissante couleur
locale. Au fond et adossé au noir
mur mitoyen, s'élevait un appentis
en ruine où se trempait et se façonnait
le papier. Là, était l'évier
sur lequel se lavaient avant et après
le tirage les formes, ou, pour employer
le langage vulgaire, les planches de caractères;
il s'en échappait une décoction
d'encre mêlée aux eaux ménagères
de la maison, qui faisait croire aux paysans
venus les jours de marché que le
diable se débarbouillait dans cette
maison. »