« La promptitude
de l'impertinent libraire, l'abaissement subit de ce
prince des charlatans tenait à des circonstances
presque entièrement oubliées, tant le
commerce de la librairie s'est violemment transformé
depuis quinze ans. De 1816 à 1827, époque
à laquelle les cabinets littéraires, d'abord
établis pour la lecture des journaux, entreprirent
de donner à lire les livres nouveaux moyennant
une rétribution, et où l'aggravation des
lois fiscales sur la presse périodique firent
créer l'annonce, la librairie n'avait pas d'autres
moyens de publication que les articles insérés
dans ou les feuilletons ou dans le corps des journaux.
Jusqu'en 1822, les journaux français paraissaient
en feuilles d'une si médiocre étendue,
que les grands journaux dépassaient à
peine les dimensions des petits journaux d'aujourd'hui.
Pour résister
à la tyrannie des journalistes, Dauriat et Ladvocat,
les premiers, inventèrent ces affiches par lesquelles
ils captèrent l'attention de Paris, en y déployant
des caractères de fantaisie, des coloriages bizarres,
des vignettes, et plus tard des lithographies qui firent
de l'affiche un poème pour les yeux et souvent
une déception pour la bourse des amateurs. Les
affiches devinrent si originales qu'un de ces maniaques
appelés collectionneurs possède un recueil
complet des affiches parisiennes. Ce moyen d'annonce,
d'abord restreint aux vitres des boutiques et aux étalages
des boulevards, mais plus tard étendu à
la France entière, fut abandonné pour
l'annonce. Néanmoins, l'affiche, qui frappe encore
les yeux quand l'annonce et souvent l'ouvre sont oubliées,
subsistera toujous, surtout depuis qu'on a trouvé
le moyen de la peindre sur les murs.
L'annonce, accessible
à tous moyennant finance, et qui a converti la
quatrième page des journaux en un champ aussi
fertile pour le fisc que pour les spéculateurs,
naquit sous les rigueurs du timbre, de la poste et des
cautionnements. Ces restrictions inventées du
temps de M. de Villèle, qui aurait pu tuer alors
les journaux en les vulgarisant, créèrent
au ontraire des espèces de privilèges
en rendant la fondation d'un journal presque impossible.
En 1821, les journaux avaient donc droit de vie et de
mort sur les conceptions de la pensée et sur
les entreprises de la librairie. Une annonce de quelques
lignes insérée aux Faits-Paris se payait
horriblement cher. Les intrigues étaient si multipliées
au sein des bureaux de rédaction, et le soir
sur le champ de bataille des imprimeries, à l'heure
où la «mise en page» décidait
de l'admission ou du rejet de tel ou tel article, que
les fortes maisons de librairie avaient à leur
solde un homme de lettres pour rédiger ces petits
articles où il fallait faire entrer beaucoup
d'idées en peu de mots. Ces journalistes obscurs,
payés seulement après l'insertion, restaient
souvent pendant la nuit aux imprimeries pour voir mettre
sous presse, soit les grands articles obtenus,
Dieu sait comme! soit ces quelques lignes qui prirent
depuis le nom de «réclames». Aujourd'hui,
les mours de la littérature et de la librairie
ont si fort changé, que beaucoup de gens traiteraient
de fables les immenses efforts, les séductions,
les lâchetés, les intrigues que la nécessité
d'obtenir ces réclames inspirait aux libraires,
aux auteurs, aux martyrs de la gloire, à tous
les forçats condamnés au succès
à perpétuité. Dîners, cajoleries,
présents, tout était mis en usage auprès
des journalistes.
(...) En effet,
le commerce de la librairie dite de «nouveautés»
se résume dans ce théorème commercial:
une rame de papier blanc vaut quinze francs, imprimée
elle vaut, selon le succès, ou cent sous ou cent
écus. Un article pour ou contre, dans ce temps-là,
décidait souvent cette question financière.
»