George Auriol

Analyse de l’Auriol par Francis Thibaudeau

« Etudions maintenant la conception de l’Auriol Labeur. Georges Auriol est un trop bel artiste et son apport d’initiative est trop considérable pour qu’on risque de diminuer sa gloire à constater chez lui l’influence de l’œuvre de Grasset ; et il faut voir de quel art personnel il sut parer sa création. L’instrument de Grasset avait été le calame, ou le roseau taillé à large bec ; Georges Auriol, pour ses tracés, se servit du pinceau. De cette diversité de technique sont sortis les deux labeurs modernes les plus parfaits parce que les plus logiques de dessin et les plus uniformes de ligne. Qu’on en juge :

Pour former d’un seul empattements et jambages, Grasset avait inventé le glissement du calame en tête et en pied. C’est ce qu’Auriol pratique avec le pinceau dans son A capitale, qui est sa lettre d’essai. Ce n’était certainement pas le premier A qu’il dessinait ; mais là on le sent impressionné par la destination. Il aborde un alphabet typographique dont la lime et le burin vont façonner les poinçons qui en perpétueront la forme et dont la machine à fondre multipliera les plombs. Il a sûrement le Grasset sous les yeux – car il lui a fallu se documenter – et instinctivement il reproduit le glissement de tête horizontal, terminant ensuite la base de son jambage penché par un arrondi de pinceau bien à lui, puis il aborde le trait de délié, et là encore il semble manquer d’assurance : l’évasement triangulaire de son empattement n’est pas de sa manière qu’il donnera, du reste, peu de temps après dans l’A de sa Française allongée. Néanmoins, dans la confection de cette première lettre il introduit le sectionnement caractéristique de l’ensemble de son alphabet.

Nous avons pensé qu’il était intéressant de signaler cette particularité de recherche d’une formule de stylisation de l’empattement au début de l’œuvre si belle et si féconde du maître ; car, dès la seconde lettre, le B, il est parfait, sa technique et son style sont au point. C’est le coup de pinceau triangulaire oblique de tête et le retour de base en pied ou au lieu du glissement horizontal de Grasset puis ses coups de pinceau sectionnés suivant sa fantaisie ; car malgré des formules d’empattements assez nettement et régulièrement observées, la fantaisie règne en maîtresse dans cette œuvre dont elle fait le charme et l’originalité.

Les minuscules de l’Auriol Labeur – comme nous l’offrons d’en juger – sont la parfaite adaptation du principe de tracé et d’empattement qui a présidé à l’exécution des majuscules.

Le dessin de son italique fut pour Georges Auriol l’occasion de donner libre cours à sa primesautière et spirituelle fantaisie, tout en restant d’une impeccable logique. Dans une partie de ses majuscules il répète, en les horizontalisant, les coups de pinceau triangulaires des empattements de tête de ses capitales romaines. Telles sont les lettres BB, DD, HH, JJ, KK, LL, PP et RR. Puis c’est l’ingéniosité d’invention et l’audace poussée à leur paroxysme, servies par un tour de main sans égal, qui guident le tracé de ses A, L, M, N, de ses T si typiques de jeté ; enfin les V, l’X, l’Y et le Z, qui forment comme le flamboyant bouquet de ce feu d’artifice de grâce, de goût et d’esprit français.

Pour les minuscules, il conserve la coupe elzévirienne des empattements triangulaires, différant en cela des traits d’attaque et de terminaison-reprise employés par Grasset : i, n, t, p, mais laisse aux quatre dernières lettres l’originalité de forme qui fut la trouvaille de son romain.

Signalons enfin la fort gracieuse interprétation du signe & dans l’italique comme dans le romain.

Nous avons qualifié les caractères d’Auriol d’écriture typographiée. Dans l’analyse que nous venons de faire de son labeur romain et italique, on peut se rendre compte que rien n’y rappelle la taille architecturale romaine ; partout au contraire se reconnaît le tracé au pinceau, tout autre que celui qu’on obtient de la taille au ciseau dans la pierre. (…) C’est le cas, nous en avons la conviction, pour l’œuvre de Georges Auriol, qui n’a aucun rapport avec la production de Didot ni avec celui de l’époque romantique, actuellement en renouveau de vogue, mais qui ravît notre goût français, essentiellement épris de la beauté antique, et qui retrouve en l’espèce la plus fidèle interprétation du génie et de l’art remarquable des calligraphes des VIIe et VIIIe siècles, formés à l’école des merveilleux artistes grecs. »