George Auriol

L’Auriol Labeur par Georges Peignot

« En présentant les sept derniers corps (romain et italique) de notre série « Auriol Labeur », que complèteront sous peu les corps 14, 16, 18, 24, 36, 48 et 60, nous tenons à rappeler à nos Clients que nous ne faisons là que remplir une nouvelle partie d’un programme consistant, comme on le sait, dans la création de toutes pièces d’une typographie nouvelle, appropriée à l’esthétique et aux besoins français, c’est-à-dire d’essence absolument nationale.

Après la belle série du type « Grasset » - que dans quelques temps viendra compléter et mettre au point, si l’on peut dire, une logique décoration du maître – nous avons mis au jour le génie typographique de George Auriol, dont la « Française Légère », le type « Champlevé », ainsi que les décoratifs et pratiques Ornements, ont pu déjà rénover chez nous les travaux mondains et de grande publicité.

Nous comblons aujourd’hui pareille lacune pour l’édition. La sévérité de la ligne du « Grasset », on l’admet très bien, ne pouvait se prêter indistinctement à la traduction de tous les textes, aussi l’« Auriol Labeur », depuis si longtemps espéré de la bibliophilie, satisfera-t-il à des besoins réels autant qu’urgents.

Les gros corps de ce remarquable caractère apporteront bientôt les éléments de composition des titres, auxquels concourra fort heureusement l’« Auriol allongé gras » en préparation (voir lignes spécimens au titre de cette plaquette), de même qu’un choix très varié de nouveaux ornements et de vignettes, dont quelques motifs sont également semés dans les présentes pages.

Au sujet de cette préparation d’éléments destinés à la confection du Livre proprement dit, qu’on nous permette une courte digression rétrospective. Si nul aujourd’hui ne conteste plus l’importance et la rationalité de l’emploi d’éléments de même style, de même facture, de même origine dans une composition, n’est-il pas de toute évidence que l’édition, actuellement si développée, revêtant des aspects si multiples, doit, plus que tout autre genre en typographie, s’en imposer la règle ?

La  beauté de la typographie, au reste, ne résida jamais que dans la stricte observance de l’unité de style entre les caractères de texte et les motifs de leur ornementation, et les uns comme les autres furent toujours l’exacte émanation des tendances artistiques de leur temps.

Si au XVe siècle, les prototypographes s’appliquent jalousement à reproduire, à rendre l’aspect de la gothique des manuscrits et ses ornements consacrés, le XVe siècle, qui voit fleurir la lettre romaine, l’enchâsse tout naturellement dans un décor italien. Le XVIIe qui perfectionne cette romaine dans le type elzévir, nuance son décor suivant l’esthétique particulière des contrées où le grand mouvement de la Renaissance a pénétré, se subdivisant en école hollandaise, flamande, française, espagnole, allemande, etc. Dans la typographie du XVIIIe se reflètent successivement me décor architectural et mobilier des styles Louis XV et Louis XVI, et le XIXe se caractérise tout entier dans le romain et ces initiales de Didot, cérémonieuses et césariennes, véritable adaptation de la solennité pompeuse de l’art romain, si en imitation sous la Révolution et le Premier-Empire.

Cette période épuisée, une nouvelle aurore artistique se lève, un art nouveau est en germe dont les ramifications régionales donnent des produits très variés. Comme pour l’interprétation de l’art de la Renaissance, une nombreuse classification s’effectue, dont les genres diffèrent étrangement en raison de l’absence de spécimens types et parce que toute conception moderne cherche son principal appoint dans l’initiative individuelle, dans l’imagination ; parce qu’en un mot : il faut créer ! Et c’est là précisément où la logique du sentiment français intervient, reconnaissant que pour régénérer chaque chose, le plus sûr moyen est de remonter à sa source originelle ; soit, en typographie, aux belles époques de l’écriture.

Or, il est évident qu’à ce point de vue, le matériel moderne de notre maison se trouve seul conçu sur des bases naturelles et vraies, d’une originalité de conception ayant comme garant la haute personnalité des artistes qui en signent les maquettes.

Nos clients sont assurés par là que chacune de nos productions, loin de représenter une de ces fantaisies de hasard, copie servile ou grossière de quelques type étranger, est bien réellement une chose à destination spéciale, partie intégrante d’un ensemble prévu, arrêté ; lequel, méthodiquement, se complètera et constituera dans les mains de l’imprimeur un outillage d’une grande richesse, unique de conception, d’un maniement et d’une appropriation faciles ; enfin, suprême consécration : répondant à toutes les catégories de travaux.

Dès lors, quelle sécurité – partant quels avantages – ne doit-il pas résulter de l’achat – même fractionné – de notre matériel, avec cette assurance qu’aucune pièce n’en déparera l’ensemble une fois constitué, où même, n’y fera double emploi !

Si nous joignons à cela le bénéfice indiscutable et précieux de la ligne systématique, scrupuleusement appliquée à toutes nos fontes modernes, on voit à quels titres se recommandent nos créations en même temps que la somme de conscience et d’efforts mise par nous au service de notre clientèle en vue de lui permettre de conquérir la place honorable qui lui est assignée dans la rénovation d’un art industriel où la France a toujours tenu le rôle d’éclaireur. »

20 Novembre 1904